dimanche 16 août 2009

Vélo & industrie


Je suis toujours à vélo. En arrivant à Neuves-Maisons, par le canal, on ne peut éviter de tomber sur la tréfilerie puis l'aciérie électrique.


C'est un coin qui me plaît. J'ai un très bon camarade qui a grandit à l'ombre des hauts-fourneaux, puis de l'aciérie électrique quand ils furent démolis. Quand je l'ai connu, il vivait toujours là. Et le bruit du parc à ferrailles, familier.

Il m'a fait voir des tas de coins de son enfance ici, et m'a raconté un peu tous les changements et destructions qui accompagnèrent le cassage de gueule de l'activité minière et sidérurgique dans cette petite ville si proche de Nancy. Parce que, en grandissant ici, tu a été marqué par les fêtes au bord de la Moselle encore sauvage, avec ses tas d'anses propices à la vie au bord de l'eau, et puis aussi par les pentes du plateau de Pont-Saint-Vincent, la forêt, l'aérodrome et le fort Pelissier, en haut. Mais tu as forcément aussi été abreuvé de sidérurgie, d'industrie lourde, de mines, de flammes, de fumée. Dur de passer à côté.

Et si je suis attiré de manière un peu obsessionnelle par le monde et les paysages industriels, en friche ou en activité, c'est en partie au temps passé depuis dix ans à Neuves-Maisons que je le dois.





Y'a des tonnes de tonnes d'imagination qui cavalent dans ma tête devant une usine qui déploie sa brutalité. Les questions sur le dedans de cette coque immense. Le vocabulaire patronal parlait parfois de certaines usines comme de navires, et le nom de capitaine d'industrie n'existe pas par hasard. Si la glorification de l'entreprise industrielle traditionnelle avec son paternalisme écrasant, dans le meilleur des cas me déplaît pour des raisons qui n'interviennent pas ici, je comprends par contre au premier chef comment un tel vocabulaire peut avoir une valeur symbolique effective. L'usine est un monde fermé, qui vit sur lui-même, avec ses codes, ses hiérarchies officielles ou cachées, ses tensions, ses dangers, aussi. Ses fatalités, ou vues comme telles. C'est un univers complet et cohérent.



Neuves-Maisons, ici, il ne reste plus grand chose. Toutes les mines sont fermées depuis belle lurette, et la SAM, l'aciérie qui reste là, flotte au gré des courants comme elle peut. Le Central, bistrot où je prenais il y a quelques petites années encore mon café, à sept heures, quand mon bus me débarquait à Neuves-Maisons, avant d'aller au boulot, a été rasé. On y entendait encore les échos de la vie ouvrière. Mais ce n'étaient que des échos. Leur pâleur était agonie.



J'en viens parfois à me dire que parmi les facteurs qui m'attirent vers ces ambiances, il y a cette idée de disparition programmée, de hargne, de rage de poursuivre, que certains, on les a vus ces derniers mois, ont de poursuivre.



C'était hier le meeting des mineurs
Rassemblement de tous ces braves gens
Ils sont venus de toute la Lorraine

Pour protester contre les licenciements

[...]
Oui notre lutte a été un succès
Au fond au jour poursuivons le combat

Unissons-nous comme au fond de la mine

Alors ainsi, nous retournerons mineurs




Les mineurs en grève de Trieux chantaient ça, en 1963. Ça sonne bizarre, aujourd'hui, comme à travers un drap épais, l'écho est assourdissant, envahissant, mais on ne comprend pas les paroles. Pourtant, qu'est-ce qu'elle en a bouffé, des vies, la mine, l'usine. Au propre comme au figuré. Qu'est-ce qu'elle a véhiculé d'asservissements et d'illusions. Qu'est-ce qu'elle a bousillé notre terre. Parfois pour un bon bout de temps. Marrant, une pensée pour Gabin, aussi bien dans Le jour se lève que dans Les Grandes familles... un monde qui passe...



Aucun commentaire:

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...