jeudi 18 août 2011

Liverdun: entre Lerebourg et Materne -2-


NB. Source principale et quasi-unique des informations sur l'usine: Les Amis de Liverdun

En 1975, l'usine passe sous le contrôle du groupe Bongrain. On y compte encore 375 employés. Puis le vilain ogre BSN prend les commandes en 1988 (via Materne Fruibourg) ; il ne reste au mieux que 80 salariés, plus, ponctuellement, des saisonniers. Le temps d’Eugène Lerebourg, qui gagne une rue à Liverdun cette année-là, est définitivement révolu. Plans sociaux après plans sociaux, hypocrisies après hypocrisies, nous arrivons en 1994.


Au début de l’année, Materne envisage la fermeture et le fait savoir par voie de presse. La grande classe. On liquide, ne gardant que l’activité saisonnière des fruits au sirop. Sinon, des reclassements parfois humiliants à Perpette, village célèbre où sont envoyés les reclassés en général. C’est simple. Madame quitte Lerebourg Liverdun pour un site dans l’Aisne, elle qui a toujours vécu à Liverdun, son mari démissionne pour la suivre avec les enfants. L’ensemble de la famille abandonne donc toute sécurité, revend la maison pas encore payée, abandonne son cadre de vie, son univers et ses amis pour répondre à la généreuse offre de M. Materne-Fruibourg-BSN. Ils sont cons ces ouvriers, hein, ils savent pas ce qui est bon pour eux, c’est pourtant simple la flexibilité, non ? D’autant que l’insupportable Gérard Longuet, alors ministre de l’Industrie, a donné sa bénédiction à la direction pour fermer le site…

Les 72 salariés restants sont en grève, très mobilisés. L’usine est bloquée. On se bat non pour améliorer les conditions de travail, non pour conserver son travail, mais pour un plan social décent. Signe des temps. Le PDG Bernard Lapeyre, péteux ou snobinard, ou les deux, refuse de venir sur le site tant que les salariés seront en grève. Il sera finalement présent fin janvier, confirmant ce que chacun savait déjà. Bien obligé d’assumer, et peut-être un peu poussé au cul par son big boss, Antoine Riboud, patron de BSN. Antoine Riboud, un « grand patron avec un projet citoyen », lit-on sans rire sur Wikipedia. On s’inquiète aussi chez les producteurs fruitiers lorrains, le site de Liverdun écoulant 20% de la production régionale… un des salariés évoque dans l’Est Républicain le déménagement de l’essentiel du stock avant l’annonce de la fermeture, histoire que les salariés ne soient pas tentés de le « prendre en otage », comme dirait Jean-Pierre Pernaut. Et l’hiver précédent, les médailles du travail avaient plu comme neige au soleil. Un certain cynisme…

le groupe anglais Hillsdown (qui depuis continue sa boulimie de rachats) s'empare alors de Materne-Fruibourg, lui conserve son nom, et y fabrique des pots de confiture de petit format pour les collectivités. On soupçonne bien sûr ces petits pots de confiture à la surface si lisse, confiture qui fond dans la main, pas dans la bouche, aux arômes doucereux et gluants, nourriture exclusive de certains petits vieux dans des maisons de retraite victimes de la calamité de la sous-traitance rationnelle des repas. Le chant du cygne englué dans la mauvaise confiture industrielle là où une certaine qualité avait régné pendant longtemps. En parallèle, une chaîne de mise en boite de fruits au sirop (quetsches et mirabelles) tourne toujours pendant quelques mois. Fin septembre 1994, cette chaîne est arrêtée. Que reste-t-il à faire ? On étiquette. On gère le stock… à peine un mois plus tard, le Conseil d’administration de Materne, qui évoque l’unité de huit salariés à Liverdun, fait rire (jaune) la galerie en démentant tout projet de fermeture du site. Ah ah ah. Ils sont drôles ces patrons.



Les derniers employés ne sont manifestement pas dupes, ils croyaient en septembre avec l’arrêt de la chaîne de conditionnement de fruits au sirop que c’était joué, et puis non, et puis si, et puis attendez, le C.A. se gratte le pied gauche pour savoir si on détruit encore des vies ou pas. Les salariés sont maintenus dans le flou par la direction du groupe qui semble décidée à laisser mourir le site de Liverdun sans l’avouer. La méthode est classique, et le broyage d’humain salarié un sport (inter)national rôdé dans le rachat d’entreprises par de grands groupes. Liverdun n’y coupera pas, et Hillsdown, via Materne, fera preuve d’une talentueuse et appuyée hypocrisie face à ses quelques salariés impuissants restés au travail dans la vieille usine. 1994 fut bien une année noire pour l’usine Lerebourg de Liverdun.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne connais pas l'auteur de ce blog. Pas de copinage donc. Tout ça pour dire que, comme toujours, les photos sont superbes. J'y passe faire un tour une fois la semaine. Jamais déçu. Bravo. Continuez.
D. Frouard

Anonyme a dit…

Bien triste tout ça ... alors que dans les années 60 c'était un endroit plein de vie boulot, boulot la semaine surtout durant l'été et le dimanche c'était la détente avec baignade dans la Moselle, bref c'était toujours très animé !

D'accord avec le commentaire précédent pour la qualité des photos.

Dadu Jones a dit…

Eh bien... des commentaires qui donnent envie de courir dehors faire d'autres photos.

Merci!

Anonyme a dit…

BRAVO C EST BIEN .....PAS AUSSI BIEN QUE LES AMIS DE LIVERDUN ....

Dadu Jones a dit…

Ah bah ça, ce n'est effectivement pas à moi d'en juger!

MamLéa a dit…

Ben, bien aussi mais différent, et cette série, pleine de subjectivité, me plait beaucoup.Peut-être surtout à cause de cette subjectivité, justement.

Dadu Jones a dit…

C'est un peu ce que j'essaye de conserver ici. Du subjectif et parfois du un peu rugueux. Voire de l'arbitraire.

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