lundi 5 avril 2010

La vieille dame de Saint-Nicolas-de-Port

Saint-Nicolas-de-Port était il y a longtemps simplement Port, quartier commerçant de Varangéville, gardant le pont sur la Meurthe qui commandait l'accès entre le Saintois et le Saulnois. Le culte de saint Nicolas, fortement encouragé par les ducs de Lorraine, et les foires de Port qui faisaient tripler une population qui comptait déjà plusieurs milliers d'âmes, contribuèrent au succès du culte et du pèlerinage. C'est là, entre 1481 et 1560, qu'on éleva la basilique actuelle.


Avant que le chevalier Aubert de Varangéville ne rapporte la relique de saint Nicolas (dans des conditions douteuses, semble-t-il), après son étape à Bari où était enterré le saint depuis 1087, l'abbaye de Gorze, dont dépendait Port, possédait déjà des reliques de l'évêque de Myre. Pibon, évêque de Toul, avait d'ailleurs déjà consacré une chapelle à saint Nicolas, dans le bourg de Port. Saint Nicolas était déjà populaire, protecteur des embarcations, des prisonniers, des jeunes filles, on lui attribuait des miracles célèbres, comme le sauvetage de la nef de saint Louis, etc...


Mais la "jointure" rapportée par Aubert et l'intérêt qu'y portèrent les ducs de Lorraine -bien que Port fut terre de l'évêché de Metz dont dépendait Gorze- lança le pèlerinage qui connût très vite un grand succès, surtout auprès des Bourguignons et des Germaniques. Dès 1195, il fallu reconstruire une église de pèlerinage plus grande, dont la chronique Lorraine, peu avant la construction de la basilique actuelle, dit, bien entendu, qu'elle était "très laide et très vieille". Cette église reçut pourtant la visite des rois de France, de l'empereur Charles IV...


Tirant profit de l'activité du pèlerinage et des foires drapières associées, les ducs donnèrent à l'église terres, moulins, forêts, salines... cette générosité ducale culmina au XVème siècle, avec en particulier la prise de Port aux troupes bourguignonnes qui l'occupaient le 4 janvier 1477. C'était en particulier un prélude certes tactique, mais aussi symbolique, à la bataille de Nancy, le lendemain. Le duc René II chassa les Bourguignons de Lorraine lors de cette bataille qui vit la mort de Charles le Téméraire, redistribuant les cartes de la géopolitique occidentale. Il est dit que René II assista à la messe à Port avant la bataille, et que se recommandant au saint, il lui attribua également sa victoire: c'est de cette époque que saint Nicolas est "le père de la Lorraine", avec l'institutionnalisation de son culte par le pouvoir civil. Quelques années plus tard, la basilique actuelle commençait à sortir de terre, et il serait intéressant de pouvoir d'ailleurs décortiquer, puisque Port était terre de l'évêché de Metz, via Gorze, les accords et règlements qui ont été nécessairement négociés entre le duc de Lorraine et l'évêque de Metz... avec une grosse réserve: la ville de Port était-elle toujours terre d'évêché en 1481? Si quelqu'un peut préciser, c'est bienvenu...


Les foires, à l'apogée de la ville au début du XVIème siècle, se tenaient à la Saint-Nicolas, à la Pentecôte, à Sainte-Croix et à la Saint-Clément. On y rencontrait des marchands du Saint Empire, du Royaume de France, de l'Italie et des Pays-Bas, tandis que l'axe des vallées de la Moselle et de la Meurthe voyait transiter 68% au moins du trafic entre l'Italie et les Pays-Bas, dont une bonne partie passait à Port. Si l'on considère que c'est la messe précédant la victoire de René II qui influa sur sa décision de faire construire cet édifice, on ne peut ignorer l'importance du grand centre économique lorrain qu'était également la ville, directement connectée à la route de l'Italie et de la Toscane en particulier.


Ces éléments montrent la richesse et l'activité de cette ville, et expliquent en grande partie l'étonnant décalage que l'on voit aujourd'hui entre Saint-Nicolas-de-Port qui est une petite ville peu connue au sud de Nancy et l'immense édifice. Un tel site non loin de la capitale ducale favorisa la bonne entente très localisée -ailleurs, on s'affrontait- et de circonstance entre le duché de Lorraine et l'évêché de Metz qui détenait ces terres, alors qu'il était déjà sous influence française.


Cependant, le commerce était bien sûr partiellement imperméable aux rivalités politiques et de grandes familles marchandes portoises comme les Thiriet, les Berman ou les Feriet commerçaient tant avec le Saint-Empire qu'avec le Royaume de France, au grand avantage des ducs de Lorraine qui bénéficiaient en partie de la manne financière de Port.


Pourtant, dès les années 1580, Port déclina lentement, la situation économique se ternit et des voies commerciales nouvelles entrèrent en activité; un demi-siècle plus tard, en 1635, le sac de la ville par des troupes suédoises en pleine guerre de Trente ans entérina une situation déjà largement critique. La lente extinction de la ville, brutalement accélérée par ce sac, devint irrémédiable. Ces destructions touchèrent l'édifice qui subit une longue reconstruction qui dure jusqu'en 1725, à la défaveur d'un contexte économique difficile à la sortie de la Guerre de Trente ans. Le mobilier dispersé et la statuaire du portail détruite pendant la Révolution, l'édifice abordait le XIXème siècle en piteux état. Son classement sur la liste des monuments historiques intervint en 1840, malgré les réticences de Mérimée, qui en parlait comme d'une église "d'un médiocre intérêt,... conçue à une époque de décadence". Ceci non point pour blâmer Mérimée, mais bien pour montrer, en passant, que le goût du jour, y compris en termes de patrimoine, n'est que le goût du jour, et n'a rien d'absolu...


Mais en pratique, à la fin du XVème, qui soutînt la construction de la basilique actuelle? Terminée en 1560, voulue par le duc René II, sa construction fut soutenue par la direction de Simon Moycet, par les subsides du duc Antoine, de Charles Quint, des pèlerins, des marchands et des donations diverses, en particulier lors des deux jubilés accordés par le Vatican en 1488 et en 1502.

Résultat: l'édifice est imposant... une longueur de 78,50m, une largeur de 31m et une hauteur sous les voûtes de 30m. On note, pour faire plaisir à Mamléa, que l'abside copie celle Toul...


Transportons-nous en 1940: les bombardements tardifs du 19 juin (? source=Wikipedia...) causent de graves dégâts et la reconstruction dura jusqu'en 1950, date de l'élévation au rang de basilique par Pie XII. Mais la situation était fort critique d'un point de vue financier: Saint-Nicolas-de-Port n'était plus qu'une petite bourgade mineure, et les travaux étaient insupportables. L'avenir de l'édifice était sombre, quand, à cette même époque, on apprit le legs que faisait Camille-Coué Friedman, portoise mariée à un Américain, et qui attribuait sa fortune d'outre-Atlantique à l'édifice, legs effectif à sa mort en 1980. Saint-Nicolas-de-Port, la ville de tous les mythes!


Néanmoins, les budgets colossaux -et encore insuffisants- du patrimoine attribués à Saint-Nicolas-de-Port purent être reportés sur d'autres monuments, et ils faut dire qu'en donnant à Saint-Nicolas, Camille Coué-Friedman a indirectement contribué à la sauvegarde et à la restauration d'autres monuments lorrains par le jeu de report des budgets. La cathédrale de Toul, au premier chef, bénéficia de l'argent dégagé de Saint-Nicolas.


Je tiens à préciser que la quasi-totalité de ce petit texte a été écrit avec sur les genoux la petite bible qui m'est précieuse: "La Lorraine gothique" de Marie-Claire Burnand. Un peu daté, car imprimé en 1989, mais hautement fiable pour tout ce qui précède!

Et pour en savoir plus, y compris dans quelques contradictions peut-être justifiées avec ce que j'écris, on consultera le site de l'association "Connaissance et Renaissance de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port", que je n'ai malheureusement lu qu'après avoir rédigé ceci. C'est avec avantage que l'on s'y référera d'autant plus.

(et les photos sont du 22 mars 2010, en attendant une longue session spéciale "gargouilles" de la basilique)


7 commentaires:

GERARD a dit…

Bravo Dadu, photos superbes, sujet divin ! et quant au texte !
Cette ville de Saint Nicolas et sa basilique est une vraie richesse pour notre belle Région.
J'ai fait de la pub pour votre site à certains de mes visiteurs connus, et je peux vous dire qu'il vous suive régulièrement.

Dadu Jones a dit…

Merci beaucoup: j'ai un peu corrigé mon texte entretemps, néanmoins, parce qu'il n'était pas si formidable que ça: phrases incohérentes, syntaxe approximative, accords délaissés...

Saint-Nicolas... bah, quand on aime, on ne compte pas!

Anonyme a dit…

Magnifique ... les photos, le texte tout est super intéressant !!!! Félicitations !

MamLéa a dit…

Bel article, mister Jones, qui se laisse séduire avec un égal bonheur par les belles pierres blondes et par les vieilles tôles rousses !

Une ou deux questions et remarques :
- Qu'est-ce que Pibon (constructeur à Toul) vient foutre à Saint Nicolas, territoire de l'évêque de Metz ?
- J'avais lu dans un petit bouquin de l'assoc' citée, acheté à l'OT, que s'il n'y avait pas de statues sur la façade, c'est parce qu'il n'y en avait jamais eu !!! Donc, les révolutionnaires ne les auraient pas cassées ??? Aurais-je été abusée ?
- Si la clique au Viollet n'a pas aimé Toul, je ne vois pas pourquoi elle aurait aimé Saint Nicolas !
- Pourquoi St Nic ne serait plus dépendante de Metz en 1481 ? Il fallait bien que le duché dépende d'un évêque !
- Enfin, au nom de Toul, merci à la madame Camille…

Vivement les gargouilles…

thé a dit…

Moi, j'ai un peu honte. Je viens voir régulièrement, je me mets même des images en fond d'écran ; et j'ai pas été foutu de dire que j'aimais. Mais, c'est fait.

Dadu Jones a dit…

C'est cool si ça sert de fond d'écran ou de n'importe quoi d'autre: ces des images qui sont faites pour vivre. Tant mieux!

Mamléa: je te réponds en partie demain, ce soir, je suis vraiment trop crevé... mais je ne t'oublie pas!

Dadu Jones a dit…

Réponses avec retard:

-Je ne sais pas ce que Pibon venait faire là. Mais je le retrouve bien consacrant cette église dans plusieurs sources qui se recoupent.
-La question des sculptures est intéressante: abus de langage de ma part? la Révolution "détruisit en grande partie les sculptures du portail" selon Burnand. Les sculptures... ambiguïté éventuelle? Les autres livres et articles que j'ai lu sont muets sur la période, où n'évoquent que la fonte du Trésor et la perte du bras-reliquaire offert par René II.
-Je connais mal la géographie ecclésiastique de la région. Mais il me semblait qu'au quinzième, les terres ducales ne dépendaient pas des Évêchés, mais sans la moindre certitude. Et snas compter les interpénétrations et les souverainetés croisées... d'où le doute que je mets en avant.

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