mardi 12 mai 2009

Le monument du Bois d'Ailly

Voici celui que l'on trouve au bout de la Tranchée de la Soif, avant que la vue ne se dégage joliment de la forêt sur la vallée de la Meuse...




8 commentaires:

MamLéa a dit…

Mon enfance fut nourrie de ces monuments de 14/18 situés aux alentours de Verdun que nous faisions visiter à la famille quant elle daignait se déplacer en Lorraine…
J'ai arpenté pour mon boulot les zones rouges de Verdun, du Morthomme et d'Argonne…

Je ne suis jamais allée jusqu'à la tranchée de la soif (ce n'était pas notre "secteur" !) dont j'ai pourtant vu maintes fois le fléchage en allant vers Saint-Mihiel…
Je ne dis pas que j'irai, ni que je n'irai pas, suite à tes photos.

Presque un siècle plus tard, l'émotion reste intacte quand on constate l'état du sol sur des ha et des ha bouleversés, labourés, enrichis en phosphore et en fer. Y dorment encore des obus prêts à vous péter à la gueule si vous avez l'imprudence d'y faire du feu ! Il n'y a pas besoin de monument pour ressentir cela, mais il y a besoin de monuments pour ceux qui ne savent pas ! On mettra cela sur le compte du "devoir de mémoire" !

Merci pour ce (beau) sujet !

(Quant au sol, désolée Dadu, mais il n'est pas "acide" !)

ubifaciunt a dit…

La citation de Céline... Pouah... Ici, à Paname/Banlieue, toujours cette pensée émue en pensant place Clichy, le début et l'enrôlement du Bardamu...

Dadu Jones a dit…

Je croyais que sur les hauts, où l'horizon A0 (c'est bien ça?) est très fin, le sol était acide.

Mea culpa.

MamLéa a dit…

Petit cours de pédo non illustré et gratuit :

Dans un sol, de haut en bas :
A0, c'est la litière (les feuilles mortes)
A1, l'horizon humifère (en surface)
B, les divers types d'horizons d'altération, en dessous des précédents
C, la roche mère intacte, en profondeur (variable).

Sur plateau calcaire (c'est le cas ici), on ne peut avoir de sol acide que :
- Sur alluvions anciennes de Moselle (j'avoue que je ne sais pas s'il y en a dans ce secteur, la Moselle est passé par là, il y a très longtemps., mais ça ne peut être que sur des surfaces limitées.
- Sur limons : je n'en n'ai jamais trouvé sur côtes de Meuse, mais il est possible qu'il y en ait qqpart
- Sur terra fusca (argile de décalcification), mais les roches du plateau de Meuse ne sont pas assez ferrugineuses pour en avoir généré (contrairement à la côte de Moselle où la TF est assez omniprésente...

Les sols que j'ai rencontrés à Verdun (même substrat géologique qu'à Ailly) étaient tous riches en calcaire, et faut dire aussi qu'avec le bouleversement dû aux obus, le calcaire de la profondeur avait été remélangé avec la surface un peu partout.

Je pense que quand on dit "acidité" de la poussière, c'est une image valable quant à son agressivité sur les poumons et non une réelle notion chimique.

… c'était une parenthèse.
Ton sujet est intéressant… avant, je croyais qu'il n'y avait là que des trous et des bosses.

Les monuments aux morts : quoi de plus hideux que ceux de nos villages ! Tout un commerce à une certaine époque… et des pages dans les registres de délibération des mêmes communes…

Sinon, "Puceau de l'horreur" : l'expression me plait bien !

Dadu Jones a dit…

Merci!

J'ai vu hier le monument aux morts de Blénod-lès-Pont-à-Mousson...

Une horreur d'un intéressante facture, polychrome dégueulasse calé entre deux murs aux revêtements très 80's, avec citations banales peintes façon fresque de préau d'école sur-républicaine sur l'un des deux murs. Ça évoque à la fois Frank Zappa et Bernard Tapie.

Hu hu, fantastique.

Je l'ai photographié, mais en argentique, alors faudra attendre un peu!

Leduc a dit…

« Quiconque ne maudit point la guerre soit maudit ! Amen. Par le sang et par la meurtrissure ; par les cris d’effroi et d’agonie dont les ténèbres frissonnent ; par le vent glacial de l’obus qui fait hérisser les cheveux et l’horrible flamme qui les roussit ; par les larmes qui sèchent sur le visage des morts… qu’il soit maudit !

Ma compagnie devait prendre une tranchée. On nous l’avait dite à soixante-dix mètres : elle était à plus de deux cents. Il fallait ramper et se taire : tout le monde était debout et criait. Ma demi-section tenait la gauche. J’avais six hommes autour de moi quand j’atteignis les fils de fer allemands, entre huit et neuf heures du soir. J’ai enjambé leurs corps, le matin, vers quatre heures. Le premier que j’ai trouvé était déculotté, comme si des griffes lui eussent arraché le pantalon. Il avait les fesses en l’air, coupées de long en large comme avec un couteau de charcutier. Le second pendait tout entier à un buisson, et sa tête se balançait au bout de la plus haute branche, pareille à une tête de moineau crevé. Les autres étaient roulés dans une bouillie de fange et de sang. Je ne les ai pas regardés.
Je suis revenu à quatre pattes, ma couverture autour du cou et mes musettes ramenées sous ma poitrine. Quand j’ai aperçu les pierres de nos tranchées, je me suis redressé et j’ai crié… On m’a tiré par les jambes et on m’a fait boire du café froid et du rhum. Les collines étaient pleines de brume…

Qu’avons-nous fait ? Nous sommes allés de l’avant sous la mitraille, perdus, décimés dès les cent premiers mètres. Tous les officiers à bas. Je me vois dans ce trou d’obus : une crevasse énorme à engloutir un char à bœufs. Nous n’entendons ni cris, ni voix. Les autres se sont-ils repliés ?
« Partons de là ! » disent mes hommes. Et, à mesure qu’ils sortent, ils tombent en gémissant. L’un d’eux se traîne jusqu’à moi et me dit :
- Allons porter le camarade.
Je le regarde comme un fou, sans comprendre, puis je réponds tout à coup :
- Sous ce feu d’enfer ? Mais vous perdez la tête !
Et au moment où ils l’assoient sur un fusil et qu’il s’accroche à leur cou, ils tombent tous. Je suis seul. Et l’horreur, et la pitié, et l’effroi de la mort, et le dégoût de la vie me brisent le cœur…
Le dernier que j’ai entendu râler s’est tu vers trois heures du matin. »

Lettre du sergent Cazin à sa femme rédigée quelques jours après une attaque au Bois d’Ailly, fin avril 1915.
Paul Cazin, L’Humaniste à la guerre, hauts de Meuse, 1915.

Dadu Jones a dit…

Merci, très grand camarade Leduc, que je devine sous l'oripeau du pseudonyme... cet extrait me rappelle avec quelle légèreté j'ai traité Cazin, ici comme sur le Combat Ordinaire... si force m'est de m'incliner, je persiste néanmoins, sans tout-à-fait oser signer...: les simplicités de Pottecher et autres Tucoo-Chala m'entraînent dans une affection qui si elle reste douteuse du point de vue du chercheur, n'en est pas moins fort instinctive...

Je te lis, t'entends et te réponds néanmoins avec un plaisir non feint: content de te lite ici, ami.

Leduc a dit…

Je trouve qu'une fois sur le terrain, ce récit prend toute sa dimension.
Ce passage a été rédigé à un moment où Cazin, catholique pratiquant, physiquement et nerveusement épuisé, fait le constat froid de la réalité de la guerre, de son horreur, de son absurdité.
Son livre décrit avec force les misères du quotidien (au front et dans les cantonnements). Il n'y a pas tellement de récits de combat : le passage retranscrit est l'un des rares de l'ouvrage. Malgré son bagage culturel, il ne méprise pas pas ses camarades de combat qu'ils l'appellent "Grand-père" : il loue leur infinie patiente et endurance face à l'adversité (contrairement à Léon Werth qui se bat dans le même secteur).
Grand ouvrage qui n'est pas facile à aborder mais qui se révèle, à la relecture et à la réflexion, être un ouvrage majeur sur la vie des combattants (un peu à la Pézard).

Je te conseille la Peur de Gabriel Chevallier qui a été récemment réédité.

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