lundi 11 mai 2009

La Tranchée de la Soif -2


Y'a l'histoire de la Tranchée de la Soif.




Y'a les bonhommes du 172° R.I. qui se retrouvent dans ce foutu Bois d'Ailly au sud de Saint-Mihiel, et qui tirent la langue, sèche, encerclés par leurs collègues allemands lors de ce sec et trop chaud mois de mai 1915. M'est avis que les Allemands devaient pas non plus avoir l'hydratation vaillante. C'est que les obus, ça en retourne de la poussière, dans ce sol acide des hauteurs meusiennes... bon, ils n'étaient pas encerclés, c'est vrai. Les éléments du 172° encerclés, luttant comme des sauvages malgré tout, ont été beaucoup glorifiés. Pour leur "défense acharnée de la patrie". Bon, je ne suis pas un grand amateur de folklore guerrier, chacun son truc. Mais je les célèbre en tant qu'humains victimes et acteurs de la tourmente de cette guerre, parmi tant d'autres, civils et militaires, tout autour du monde.

Moi, ce que je vois toujours au Bois d'Ailly, c'est que le temps efface, oui, mais que des traces restent. Ce qu'il efface, le temps, c'est les hommes, pas les marques du sol. Pas encore. C'est la difficulté de cet effort, imaginer ces balafres dans la terre comme des tranchées peuplées d'hommes, de souffrances, d'angoisses, de camaraderies, de lâchetés, du bruit des combats, du bruit du calme, d'odeurs mêlées, souvent délétères, c'est repeupler par l'imagination liée au savoir ces trous déserts, dans la quiétude d'un beau bois de belle Meuse, humaniser ceci afin que ça ne devienne pas juste un monument de plus. Je hais les monuments pour ça: ils figent et amènent à l'oubli des réalités historiques et de la matière humaine sur laquelle ils poussent comme de la mauvaise herbe. Je les aime à voir, à la fois, quand ils se font talentueusement évocateurs, comme au Mort-Homme, au nord-ouest de Verdun. Mais ils n'en restent pas moins monuments d'oubli. Sur le fond.

Alors ça cavale dans les bois, des veines de l'histoire, ça émeut, ça imprime, ça marque. Ouais, la Lorraine, c'est comme toutes les terres où la guerre a planté sa tente de campagne: on met un tas de générations avant de commencer à vivre sans, même de manière diffuse.

La terre s'entasse, les tranchées s'émoussent, le béton s'effrite. C'est l'Atlantide guerrière qui s'enfonce lentement dans nos bois. Que s'est-il dit, ma fois, à la porte de cet abri de piquet, quelles paroles se sont échangées, quelle gravité, quelle banalité?



(à suivre, faudra bien que je trouve une autre raison que ma qualité de Lorrain -bien que le sujet de la première guerre mondiale soit non exclusivement mais hautement lorrain- pour m'expliquer l'attirance hypnotique que j'ai pour l'histoire humaine de cette -des- guerres...)





"Les abris du col des Abeilles sont infects. A la porte de mon P.C., un tas d’immondices qui doit dater. […] Il est inimaginable comme la négligence, l’apathie laissent s’accumuler l’ordure. Pour peu qu’on ne réagisse pas, les hommes se laissent aller à croupir, au milieu des vieilles croûtes de pain, des boîtes de fromage, des débris de toutes sortes et pis encore. Couverts de boue jamais enlevée, ne retirant plus depuis des jours et des nuits leurs souliers, ils somnolent dans ces trous, crasseux, boueux, couverts de vermine, affalés sur des claies recouvertes de paille pourrie et où fourmillent les rats et les poux. Un brasero allumé à la porte les enfume et les intoxique d’oxyde de carbone".

Charles Delvert, 8 mars 1916

2 commentaires:

ubifaciunt a dit…

Bon, ben ça calme assez efficacement en matière de photos...

Pensées un peu émues qui auraient bien aimé partager le fuseau et le gris près d'une casemate...

Dadu Jones a dit…

Tout pareil, ami.

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