La Meuse et ses hauts, au sud de Verdun, vit dans ce paradoxe qui allie guerre et beauté des paysages. Douces côtes surmontant la Woëvre, soleil rasant d'une fin de journée de printemps sur les bois touffus, ruisseaux qui abondent dans les vallons et alimentent l'élastique plaine en humidité. Parmi ces ruisseaux, le Longeau. On le suit, on le remonte, on passe les hauteurs; les Hures, le Montgirmont, et voici venir les Eparges.
Les Eparges vivent au-delà des 54 habitants qui peuplent le village reconstruit après la guerre. Peut-être plus aujourd'hui, avec les quelques maisons neuves sur la route du Trottoir. Elles vivent aussi de tous les fantômes de ceux qui vécurent et moururent ici, massivement, elles vivent des fantômes des hommes s'animant sous la plume de Genevoix. On pense à eux, au bord des entonnoirs des mines énormes qui crèvent la colline. Des cratères d'une ampleur inimaginable. Comme si la terre était un corps mutilé. La forme de ces excavations brutales rappelle insensiblement celle du trou fait par une balle dans la peau d'un homme. On en imagine une souffrance similaire, si tant est que la terre souffre. Et pourquoi pas?
Aujourd'hui, en se tenant sur les pas, précisément, que raconte Genevoix dans son livre, en suivant son calvaire, on entend les chiens, les cloches, les tracteurs, les enfants, la Meuse est redevenue cette paisible contrée rurale qui respire avec régularité. Et on pense à Porchon, à Sicot, à Laviolette, à tous les chers morts de Genevoix, qu'il venait saluer ici, tous les ans, jusqu'aux dernières années de sa vie. Et ces morts, certains toujours enfouis dans la colline, dispersés, désarticulés, enterrés par les obus, on espère qu'ils entendent, d'une manière ou d'une autre, comme tout est devenu paisible, à nouveau, et comme leurs Eparges, qui vivent dans le souvenir, n'existent plus. En tous cas pas en Meuse.
Mais combien d'Eparges de 1915, en ce moment, ailleurs dans le monde?
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